dimanche 9 mars 2014

Bitcoin : une régression monétaire

Le Bitcoin est un protocole de transactions de pair à pair - décentralisé - promu comme système de paiement. Les échanges sont libellés en bitcoins, une unité à laquelle on a un peu vite fait d'attribuer les qualités d'une devise internationale, ainsi que les atours - un symbole barré, des images de pièces en or avec un slogan latin (Vires In Numeris - La force du nombre), etc.

La monnaie est un  objet choisi par un groupe comme représentation d'une valeur. C'est un contrat social. Il peut servir, au choix, d'unité de compte, de moyen d'échange, de réserve d'épargne. C'est la promesse faite par le groupe à l'individu que le coquillage, le bout de papier ou la suite de bits, qu'il a obtenu en échange d'un travail ou d'un bien tangible, lui permettra d'acquérir un équivalent, dans le futur. C'est donc une dette.

Cette garantie d'être remboursé un jour élargit beaucoup la possibilité de commercer, y compris avec des inconnus. Et ce jeu va de pair avec des règles claires et connues de tous, à défaut d'être comprises. En zone euro, par exemple, la cible officielle d'inflation est de 2% par an, pour accompagner la croissance (potentielle) des échanges et éviter une déflation sans trop éroder l'épargne (OK, ça fait beaucoup). Pour certaines monnaies locales (le Chiemgauer, en Basse-Saxe), un système intégré d'inflation incite les acteurs à ne pas épargner, le but étant de stimuler le commerce. Les SEL (Systèmes d'échanges locaux) sont explicitement faits pour promouvoir les entreprises locales, l'action sociale (Timebanks.org), l'échange de savoirs et l'éducation (Saber au Brésil, Moniba, expérience au Mali). Les titres restaurant sont des monnaies complémentaires propres à un secteur d'activité. Leur règles d'usage sont, là encore, connues et bien définies.

Concernant le crédit (ou le compte) bancaire, qui est reconnu comme monnaie depuis 1914, le garant en dernier ressort est l'État souverain, qui impose, là aussi, ses règles.

Comment le bitcoin s'inscrit dans ce tableau ? Il a pu être présenté comme une alternative aux monnaies souveraines en apportant une garantie collective à la place de celle de l'État. Les geeks libertariens ont été séduits par cette perspective de retirer au monstre froid une de ses prérogatives. Certains libertaires nerds y voient un moyen de s'affranchir des banques capitalistes qui ont provoqué la crise financière de 2008.

Si le Bitcoin apporte du neuf, c'est sur les moyens d'échange. Jusque là, on ne savait pas comment garantir l'unicité d'une transaction sur un réseau sans base de donnée centrale - ou sans instance centrale, qui aurait autorité. On imagine déjà l'appliquer à divers aspects du réseau mondial (le nommage avec Namecoin). Sur les autres rôles de la monnaie, le bitcoin semble vraiment à côté de la plaque. Sa valeur, extrêmement variable, en fait une mauvaise réserve d'épargne et une unité de compte vraiment très volatile. Quand au moyen d'échange, une autre caractéristique du bitcoin le rend inapte, c'est la déflation programmée dans son code. Au fil du temps, la quantité de bitcoins émise décroît. Elle s'arrêtera dans un temps fini.

Fichier:Total bitcoins over time.png
 (image venant d'ici: https://en.bitcoin.it/wiki/File:Total_bitcoins_over_time_graph.png)

Si les échanges devaient se développer dans cette monnaie, le prix des marchandises ne cesserait de baisser, ce qui inciterait les acheteurs à reporter leur achat et les vendeurs à choisir une autre unité monétaire. On voit bien la contradiction.

On voudrait que le bitcoin ressemble davantage à un bien qu'à une monnaie. S'il avait une utilité en soi, comme les noms de Namecoin, ça pourrait se soutenir. La comparaison avec les métaux précieux, qui ont servi de base monétaire pendant longtemps, est encore plus sotte. Ces métaux sont utiles, dans des sociétés de l'antiquité aussi bien qu'à l'âge de l'espace. Et ils sont rares, alors qu'il suffit de créer un CoinBit pour multiplier les signes numériques. Quoi qu'il en soit, le retour à une monnaie-marchandise serait un retour au troc.

Le seul intérêt du bitcoin est pour ceux qui y sont entrés en premier, lorsque la création en était facile. À présent qu'ils en possèdent un paquet, ils s'emploient à en faire grimper la cote. C'est ainsi que j'écoute les évangélistes invités sur les plateaux (Bitcoin au Téléphone sonne - France Inter). Heureusement, il y a aussi d'excellents articles pour garder les idées claires et la tête froide.