dimanche 4 mai 2014

Bio hacking et boulangerie

Le goût du pain connaît peu la diversité. Même dans un pays qui a su garder une tradition boulangère, d'un point de vente à l'autre, la baguette ou le gros "campagne" dégagent un éventail d'arômes singulièrement réduit. On doit se résoudre à constater qu'il existe des saveurs plus susceptibles que d'autres de plaire, ou de ne pas déplaire, à un grand nombre de gens. Mais comme le goût est une affaire d'éducation, le risque de suivre cette pente est d'aboutir au bout d'un certain temps à un goût uniformément tendre, moelleux et édulcoré.
L'industrie boulangère livre invariablement des miches aux saveurs légèrement maltées, avec une croûte caramélisée. Les pains de supermarchés donnent souvent l'impression d'être rehaussés d'arômes tant leurs fondamentales, celles que l'on respire après mastication, sont décharnées et proches de la farine. Même les gros de six livres, vendus à la découpe dans les chaînes bio, manquent de caractère à force de rechercher un consensus. Il y a longtemps que je n'ai pas acheté un pain aux arômes entêtants d'un levain puissant.
Le pire, c'est le pain de seigle. Généralement mal cuit, trop salé, raté par manque d'attention. Parce qu'il demanderait un traitement à part, non standard, il tend à disparaître des étals. Notable exception, le seigle complet de quatre livres de la boulangerie d'Écoles-en-Bauge est une réussite. Avec une jolie croûte, une mie cuite et dense, il assume une palette complexe et acide. Mais il est difficile à trouver.
La boulangerie, c'est un peu du bricolage bio. Ça ne devrait pas faire bon ménage avec les processus industriels labellisés ISO, ni l'ambition de plaire à la Terre entière, alors qu'on dessert trois villages. Logiquement, j'ai décidé d'aller bricoler dans mon atelier.


La fermentation doit être longue.

Ce qui donne du goût au pain, ce sont les levures, les moisissures, les bactéries, les archées qui mijotent dans le levain. Que les hypocondriaques se rassurent ici, la plupart des pains du commerce sont levés non pas au levain mais à la levure. Pour préparer celle-ci, on a sélectionné en laboratoire stérile une souche pure qui a les caractéristiques recherchées. Puis, on l'a reproduite en grand et conditionnée en petits sacs hermétiques. C'est un peu le même processus que pour le Camembert au lait pasteurisé, pour lequel on commence par tuer les micro-organismes qui se trouvent là. Ainsi, s'imposent facilement les quelques clones sélectionnées que l'on réintroduit après la pasteurisation. Le résultat sur le goût du fromage est similaire à celui obtenu avec le pain à la levure. C'est pauvre et terriblement prévisible.
Pour obtenir du levain, il faut un peu de farine, de l'eau et du temps. Dans un verre, qu'on ne couvrira pas, on délaie un peu de farine et d'eau tiède. On laisse le mélange dans une atmosphère douce pendant quelques jours. Pour aider, on peut écraser un grain de raisin ni lavé ni essuyé ou ajouter une pincée de sucre. De temps en temps, on rajoute une cuillère de farine et d'eau. Invariablement, le mélanger fermente. À force d'ajouts, on obtient une balle de pâte molle et odorante. Plus herbeux en hivers, franchement alcooliques lorsque la température monte, les tons varient et ne sont jamais purs. Il ne faut pas rejeter quelques notes amères de moisissures, pourvu qu'elles ne prédominent pas. Bien sûr, on ne fait pas le levain à chaque fournée. Avant le façonnage, on récupère une poignée de pâte pour ensemencer le pétrin suivant.
Pour la farine, j'ai choisi un seigle type 130 en mélange 50/50 avec un blé type 80. On peut remplacer le blé par le grand épeautre (spelta). Céréale de terres pauvres et froides, le seigle vient de Haute-Loire. Le blé est cultivé en Picardie. Ben si, on peut trouver des céréales bio en France. Pour le sel, on aura la main légère.
La durée de la première fermentation (le point) est l'élément déterminant, avec le levain, pour le goût du pain. Après le pétrissage, on laisse la pâte reposer en une seule boule. Le minimum, à condition d'avoir 25 °C, est de trois heures. Mais je trouve cette valeur un peu basse. En fait, le point peut durer la nuit. Plus la masse fermente, plus les arômes s'élaborent. En été, c'est une vraie cornue d'alchimiste. Après le façonnage, on laisse aux pâtons le temps nécessaire pour aérer la pâte. Deux heures, parfois beaucoup plus s'il ne fait pas chaud.



 
Le seigle forme des pains denses, qui doivent être cuits à température modérée mais assez longtemps.

Pour la cuisson, j'ai improvisé un four, une poêle en fonte épaisse ajustée à un couvercle de cocotte en fonte. Le tout est isolé par de l'alu, du papier épais et un tissu. La chaleur est ainsi confinée dans l'espace entre poêle et couvercle. Il faut bien préchauffer ce four. Une cuisson trop rapide brûlerait la croûte et laisserait l'intérieur trop humide. Il faut jouer du thermostat, l'odeur est un guide sûr pour ça. L'inertie thermique de la fonte est une alliée.
Après quelques essais, le résultat est satisfaisant et même réjouissant !