mercredi 22 août 2018

Où sont les ponts routiers dangereux ?

En cette fin août 2018, à la suite de l’effondrement du pont Morandi à Gênes, on débat dans les médias sur l’état des infrastructures routières en France. Si vous avez raté, je recommande vivement le Téléphone Sonne (France Inter) du lundi 20 août, dont l’invité, Philippe Duron, sénateur et rapporteur de Mobilités 21, donne une vision d’ensemble des problèmes. Ce rapport de 2013 faisait un tri dans tous les projets accumulés dans le SNIT (Schéma national d’infrastructures de transport). Il mettait la priorité sur la modernisation d’infrastructures existantes (nœuds ferroviaires en particulier Lyon, desserte des ports maritimes du Havre et de Marseille, quelques aménagements routiers) et préconisait de repousser à plus tard de nouveaux équipements chers et à l’utilité discutée, comme les voies fluviales de liaison à grand gabarit Saône-Moselle / Saône-Rhin, l’A51 Gap-Grenoble ou la LGV Rhin-Rhône branches sud et ouest. Le souci d’entretien du patrimoine grandissait depuis quelques années. En 2006, un rapport réalisé par l’EPFL, l’école Polytechnique de Lausanne, avait alerté sur l’état du réseau ferré français. Il émettait l’idée de concentrer les ressources vers les lignes secondaires fréquentées, au prix de l’abandon des moins utilisées.

Bon, mais les ponts alors ?


Un moment, j’y arrive. La commission Mobilité 21 s’inquiétait aussi de l’état du réseau routier, avec mention spéciale pour les ponts. Page 14, on peut lire « En 2012, 15 % des chaussées et 12 % des ouvrages d’art du réseau routier national non concédé avaient un indice de qualité mauvais. » Les données récentes de 2016 recensent 6,4 % de ponts dans les catégories 3 (structure altérée) et 3U (travaux urgents) et 29,2 % si on y adjoint la catégorie 2E (risques à court terme pour la structure). Mais ces données agrégées par région ne précisent pas quels ponts sont concernés.


Avec un petit traitement graphique, on voit bien les ponts en question. Comment ça racoleur ?

Cependant, les données fournies par le ministère, une fois traitées, permettent de préciser le périmètre de recherche pour un localier qui ferait une enquête dans son périmètre. Je suis parti des données géographiques de l’état du réseau national non concédé et celles portant sur les trafics moyens journaliers annualisés (TMJA). Là-dessus, j’ai superposé dans QGIS les ponts routiers extraits de la couche IGN des points de franchissements, à l’aide de l’éditeur de requêtes (onglet source de la couche). Pour faire apparaître les ponts routiers sur les tronçons les plus dégradés, on procède à une série d’opérations, dans l’ordre :




- Sélectionner dans la couche IQOA (indice de qualité des ouvrages d’art) les tronçons en catégorie 3, avec l’outil de sélection par expression.
- Former autour de ces tronçons routiers un tampon de 100 mètres de large, soit à peu près l’emprise en largeur d’une autoroute. La commande Tampon se trouve dans la boîte à outil, accédée depuis le menu Traitements.
- Créer la sélection des ponts qui intersectent ces tampons avec l’outil de sélection par localisation, toujours dans la boîte à outil.
- On enregistre cette sélection dans un fichier ou une base géospatiale.
- Pour faciliter les recherche, on peut ajouter les coordonnées GPS de chaque point. Dans la calculatrice de champ, on créé un champ latitude = x(transform($geometry,  layer_property( 'couche_des_ponts', 'crs'), 'EPSG:4326')) et
et longitude = x(transform($geometry,layer_property( 'couche_des_ponts', 'crs'), 'EPSG:4326')).



La région Méditerranée est très concernée par le problème

 

La part cachée des collectivités


On part de l’hypothèse raisonnable que les ponts situés sur les routes dégradées sont dans un état similaire. Mais pour être fixé, il faut aller voir sur place ou trouver d’autres sources plus précises. La création de tampons est nécessaire pour faire une jointure spatiale car les routes sont représentées dans l’ordinateur par des lignes sans épaisseur. Trouver une intersection avec un point (un pont) relèverait presque du miracle.

La limite de cet exercice est qu'il ne concerne que le réseau routier national non concédé, un petite partie de l'ensemble des routes et des ponts du pays. Le nombre se trouve sur le réseau à la charge des collectivités locales, pour lequel on ne dispose pas toujours de données sur la fréquentation ou l'état.

lundi 13 août 2018

Croiser les données spatiales pour gagner en précision

Une représentation précise de la population dans un système d'information géographique (SIG) revêt une importance particulière lorsqu'on s'intéresse à l'aménagement urbain, aux infrastructures de transport, aux équipements publics, à la gestion des risques ou celle des espaces naturels. Lorsqu'on est capable de situer la population dans l'espace, on peut aussi répondre à un tas de questions comme "combien de personnes âgées de plus de 75 ans habitent à plus de 300 m d'un transport public", "combien d'enfants de moins de 15 ans n'ont pas d'établissements scolaires à moins de 5 km", "combien de gens seront affectés par le bruit de la future rocade nord", "voit-on une corrélation entre la distance aux entreprises et les ménages à bas revenus", pour peu qu'on dispose dans le SIG de données sur la population et les entreprises.



De nombreux bâtiments (en jaune) de la ville de Nîmes sont soumis au risque d'inondation (zones bleues).


Carroyage de population + bâti cadastral = précision accrue


Les données carroyées de la population de l'Insee rendent la chose possible, je l'ai montré sur quelques exemples dans ce blog. La précision est de l'ordre de 200 mètres, la maille du carroyage. C'est assez fin pour faire des agrégats au niveau des quartiers (la subdivision IRIS). Je me suis demandé si on pouvait obtenir une meilleur précision pour évaluer l'exposition au risque d'inondation ou la distance d'une population à des services publics (transports, écoles, hôpitaux). J'avais observé des maisons, généralement anciennes, construites juste un peu en retrait de lits majeurs de rivières sujettes à des crues dans le Gard et dans l'Hérault. Ces maisons ne devraient pas être affectées par des crues ordinaires. Dans un SIG, la représentation de la population à l'échelle du carreau est trop grossière pour tenir compte de ces stratégies locales. La part des habitants affectés est calculée en appliquant la proportion de la superficie du carreau couverte par la zone inondable. Cette règle de trois marche bien dans beaucoup de cas mais sans doute assez mal si la population n'est pas répartie de façon homogène dans les carreaux.

Mon idée était donc de peupler le bâti du cadastre, une donnée géographique disponible librement depuis peu. Parmi les éléments du bâti, certains seulement sont des immeubles et tous ces immeubles ne sont pas des logements, c'est bien là où se situe la difficulté. On pourrait en première approximation répartir uniformément la population de chaque carreau dans le bâti qu'il contient mais on se retrouverait alors à peupler d'habitants des garages, des armoires électriques sur la voie publique, des entrepôts, des stades de foot, ce qui réduirait le gain de précision espéré. Il y a aussi la question de la surface habitable qui est fonction de la surface et du nombre d'étages, une donnée absente du cadastre.


 
Quels carrés jaunes sont des logements ?

Little Big Data


Pour estimer si un élément du bâti du cadastre est un logement, j'ai d'abord employé une série d'heuristiques basées sur des mesures géométriques pour exclure certains bâtiments publics, entrepôts, grandes surfaces. En croisant d'autres données spatiales, comme la vocation des IRIS, les IRIS A étant consacrés aux activités commerciales ou industrielles, on peut considérer que les grands bâtiments sont a priori des hangars. Pour estimer le nombre d'étages, j'ai fait une statistique au doigt mouillé sur la surface et les dimensions d'immeubles de logements. C'est un modèle assez rudimentaire, basé sur des observations, de nombreux tâtonnement et avec 0% d'IA.

L'algorithme a été réalisé en PL/PgSQL, il procède à une série de créations de tables à partir de jointures et de calculs sur les données d'origine pour ajouter à la couche du bâti un nombre d'habitants. La raison de ce découpage tient d'abord à la simplification du code, qui autrement aurait été extrêmement complexe à concevoir, à optimiser et à lire. Ensuite, entre chaque création de table, on peut créer des index GIST qui accélèrent considérablement le calcul.

Heuristique du logement


Les premières tentatives de validation sont encourageantes, j'obtiens des valeurs vraisemblables pour les villas, les grands ensembles et les immeubles en ville. En regardant de près la ville de Nîmes que je connais, j'ai trouvé des bizarreries, comme certaines tours d'habitations qui se retrouvent désertes, ou la Maison Carrée qui compte quelques habitants, ce que est une erreur manifeste. Mais le Carré d'Art, les Arènes et le Lycée Feuchère n'en ont pas, ils ont bien été pris en compte par mon algorithme. Agrégée au niveau de l'IRIS, la population localisée au cadastre présente des écarts avec les données de population des IRIS 2010 de l'Insee, mais moins que les calculs réalisés directement sur le carroyage.

Pour les autres données démographiques et économiques de l’Insee livrées avec le carroyage, on reste prudent. Ces chiffres sur la tranche d'âge, la taille du ménage, le statut de propriétaire ou le revenu fiscal déclaré par unité de consommation sont lissés à l'échelle de rectangles qui englobent plusieurs carreaux de population. Pour les affecter dans tels ou tels bâtiments avec plus de précision que cette échelle, il faudrait les croiser, encore, avec d'autres données.

Qu'est-ce qu'une jointure spatiale ?

Lorsqu'on fait la jointure de deux tableaux de données, on enrichit l'information initiale. Mais il faut pour cela trouver une clé de jointure, un identifiant commun et non ambigu, comme un numéro Insee de commune, le numéro SIREN des entreprises ou le symbole d'un élément chimique. Pour les données géolocalisées, la clé est une relation spatiale (inclusion, contact, distance) entre deux éléments. Concevoir cette clé nécessite un questionnement et un raisonnement géographique. Cette démarche, très simplifiée dans le cas illustré ici, peut faire intervenir des statistiques ou des modèles plus ou moins compliqués.